La souris Rose et les succubes
La souris Rose et les succubes
Par un beau matin d’automne, la souris Rose se promenait dans les faubourgs animés de Convoitise. Elle attendait l’heure de son rendez-vous avec le rat Ramoli, tout en pratiquant son sport favori, le lèche-vitrine. Sur l’avenue principale, elle admira un mannequin qui flirtait avec une sublime robe de velours noir. Idéale pour sa soirée.
Tant pis, elle serait en retard au salon de thé, mais il lui fallait absolument cette robe noire. Ses paquets sous le bras, elle rejoignit l’une des rues secondaires, où le salon de thé se camouflait dans un renfoncement. Sa façade discrète avait plu d’emblée à Ramoli, qui détestait l’animation des allées emplies de foules pressées qui vous bousculaient sans ménagement.
C’est les bras chargés qu’elle arriva avec une bonne demi-heure de retard, mais son ami avait l’habitude et en avait profité pour dévorer trois grosses madeleines moelleuses. Que mijotait-t-il encore ?
Ramoli se pencha vers elle et lui murmura son plan à l’oreille, qu’elle écouta avec attention. Le rat semblait parfaitement préparé à l’expédition prévue pour le soir-même. Après avoir bu cinq tasses de thé parfumé à la rose, elle rentra essayer sa nouvelle tenue.
Le soir venu, la souris Rose retrouva Ramoli dans un bar plutôt mal entretenu, dans la ville basse de Convoitise. Elle avait suivi ses instructions et ne portait pas une tenue extravagante, afin de pouvoir s’éclipser plus facilement en cas de besoin. Elle craignait le pire, mais ne pouvait s’empêcher de le suivre dans ses aventures rocambolesques. Pour n’être pas reconnue, elle n’avait pas appliqué sa poudre rose et ressemblait à n’importe quelle autre souris, l’élégance en plus.
Le rat avait les moustaches qui frétillaient, ce qui annonçait généralement de gros ennuis. Équipé d’une tenue sombre, il patientait en lisant une feuille de chou locale. Il rangea le journal dans son sac à dos et l’entraîna dans une ruelle profonde, à peine éclairée ça et là de quelques reflets de lune ronde.
Au fond, ils débouchèrent sur une minuscule place carrée. Un seul lampadaire jetait sa lumière blafarde sur un banc solitaire disposé sur un carré de verdure. La souris Rose fit mine de s’y asseoir, mais le rat la tira par la manche en direction d’un coin de ténèbres du square. Prise de doute, elle le suivit néanmoins dans une rue encore plus étroite et bondée d’immondices, habitée par de repoussantes créatures. La moustache toujours frétillante, Ramoli pressa le pas et s’arrêta devant un portail dont les arabesques sculptées représentaient des sortes de démons.
La souris Rose sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine. Elle voulut demander au rat de faire demi-tour, mais le portail s’ouvrit devant eux. Bouche bée, elle se colla à Ramoli qui pénétra dans l’allée obscure. Sur une porte monumentale,des sculptures de femmes mouvantes les incitaient à franchir le seuil. Ramoli prononça deux mots incompréhensibles et la porte devint inerte. Il fit entrer la souris Rose qui n’en menait pas large, puis referma la porte derrière lui. Ils se retrouvèrent une nouvelle fois dans le noir. Un léger tintement fit sursauter la souris, mais ce n’était que le rat qui allumait une lanterne. Il l’emmena dans une vaste cour intérieure, où une fontaine jouait une mélodie liquide.
De jolies nymphes servaient de décor à la fontaine et Ramoli lui assura que cette fontaine ornerait parfaitement le hall de leur hôtel. Tout à coup enjouée, elle acquiesça et regarda de plus prés les femmes aux poses lascives. Toutefois se dégageait des statues une sourde impulsion qui mettait la souris Rose mal à l’aise.
Quand Ramoli s’approcha, l’une d’elles se mit à esquisser un sourire et se pencha ostensiblement pour attraper le rat.
Réagissant au quart de tour afin de détourner l’attention de la chose, Rose sortit son brumisateur et en aspergea la statue qui s’immobilisa aussitôt.
Surpris, Ramoli suspendit son geste, puis il recula prudemment. Le rat regarda son amie qui semblait tout aussi éberluée que lui. Abandonnant momentanément la place, ils farfouillèrent le manoir à la recherche d’autres objets moins dangereux. Il finirent par découvrir une bibliothèque et dénichèrent un énorme manuscrit de l’histoire du manoir.
Le palais avait appartenu à un riche marchand qui l’avait fait construire bien des siècles plus tôt. Comme il ne disposait pas d’héritiers, à l’heure de sa mort, il avait fait protéger sa propriété par des créatures monstrueuses.
Depuis longtemps, plus personne ne s’aventurait dans son domaine, sauf des Mages.
C’est à l’occasion d’une expédition de l’un d’entre eux que Ramoli s’était faufilé à sa suite en toute discrétion.
Lorsqu’il franchit le seuil du manoir, ses moustaches se mirent à frétiller avec énergie, ce qui prouvait que ce lieu regorgeait de trésors.
Très inquiets, à présent, la souris Rose et Ramoli se regardèrent, mais n’en poursuivirent pas moins leurs fouilles pour autant. Le rat dévoila un manuscrit, où des nymphes étaient représentées et l’ouvrit en grand. Ils plongèrent dans l’étude de ce document et découvrirent que les statues emprisonnées dans la fontaine étaient des succubes qui se nourrissaient exclusivement de chair fraîche.
Horrifiés, ils décidèrent de quitter le manoir au plus vite, non sans emporter bon nombre de manuscrits et parchemins.
De retour au calme relatif de leur hôtel en travaux, ils examinèrent leurs trouvailles, et c’est ainsi qu’ils apprirent que si on les maintenaient humides, les succubes ne se réveillaient pas et demeuraient inertes.
A grands frais, ils aménagèrent un bassin dans le grand hall et y firent monter les statues en prenant bien garde qu’elles restent toujours humidifiés par des gouttelettes d’eau froide.
Depuis ce jour, l’entrée de leur hôtel est rehaussée d’une fontaine vivante qui ne peut laisser les clients indifférents.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.